This article was published in print in POV issue #120 (Winter 2023). What follows is the French original accompanied by an English translation.
Grâce a l’action du cinéma direct, qui a donné lieu à des oeuvres majeures comme Pour la suite du monde de Pierre Perrault et Michel Brault dans les années 1960, le documentaire est associé de près à la naissance du cinéma québécois. Outre sa contribution à l’animation, le cinéma direct marque probablement l’apport le plus important du cinéma québécois au cinéma mondial. Malgré cette reconnaissance internationale, au fil des décennies, le cinéma documentaire québécois a vu son financement se réduire comme une peau de chagrin. De moins en moins de films sont produits annuellement et avec des budgets de plus en plus déconnectés de la réalité du terrain.
En mars 2022, le regroupement Pour la suite du doc a créé une onde de choc dans les médias et dans le milieu du documentaire québécois en mettant en lumière le sous-financement chronique du milieu à la SODEC. Le groupe réclamait que 15% du budget annuel de la SODEC soit consacré au documentaire. Plus de 1000 personnes et une trentaine d’associations ont ainsi signé la pétition. C’est peut-être la meilleure chose qui pouvait arriver au documentaire. La SODEC et les autres bailleurs de fonds ont pu prendre la mesure des enjeux de la pratique documentaire au Québec et ont compris qu’une mise à jour des programmes permettrait de meilleures conditions de production, et aux créateurs et producteurs de vivre de leur art.
Bien que la SODEC ait été visée directement, le milieu s’est entendu pour reconnaître qu’il s’agissait-là d’un problème systémique. La SODEC a ainsi assuré le leadership nécessaire en mettant en place un chantier du documentaire auquel l’ensemble de l’écosystème a participé. Ces rencontres ont permis de mettre de l’avant des solutions concrètes afin d’augmenter le financement des films, de permettre un meilleur arrimage des programmes des bailleurs de fonds et de rendre les documentaires québécois plus compétitifs sur la scène internationale.
Déjà, en 2023, des changements salutaires ont transformé le milieu du documentaire. Le Fonds des médias du Canada a assoupli ses règles sur les licences seuil pour les programmes d’Enveloppes de rendement et le fond POV. Pour sa part, Téléfilm Canada a injecté davantage d’argent dans le documentaire en finançant plus de projets avec des montants d’aides plus élevés. La SODEC annoncera prochainement ses plans, mais on peut présumer qu’il y aura une hausse importante de l’aide financière accordée au documentaire ainsi qu’un ajustement de ses programmes. On ose espérer qu’il y aura un « avant » et un « après » ce chantier du documentaire. Cela serait, en soi, une première victoire.
Toutefois, il reste encore beaucoup à faire. Le milieu doit se rallier et plaider pour que Patrimoine Canada bonifie les budgets de Téléfilm Canada et de la Société Radio-Canada. Il doit en faire de même auprès du Ministère de la Culture et des Communications du Québec afin que ce dernier finance plus adéquatement Télé-Québec.
Aussi, il faut interpeller le Conseil des arts du Canada et le Conseil des arts et des lettres du Québec. Ceux-ci soutiennent de nombreux projets émergents et expérimentaux créés par un vaste et riche bassin de réalisateur.rice.s de documentaires. Mais ils poussent de même coup nombre de réalisateur.rice.s vers l’autoproduction – ce qui peut être un excellent choix pour certains films – alors qu’ils bénéficieraient davantage de la présence d’un producteur. L’autoproduction de documentaires et les budgets trop peu élevés avec lesquels certains de ceux-ci sont réalisés contribuent à maintenir le financement de l’ensemble de ces projets à un niveau beaucoup trop bas. Il faut créer un meilleur arrimage entre les programmes des Conseils et ceux auxquels ont accès les producteurs tout en maintenant la possibilité pour les cinéastes indépendants de produire leurs oeuvres dans un contexte plus artisanal.
On doit aussi mettre en place des aides structurantes pour les entreprises de production, comme des aides corporatives en développement afin de pérenniser le milieu documentaire. Plusieurs sociétés de production ont fermé leurs portes dans les dernières années ou ont été forcées de diversifier leurs activités de production, faute de financement adéquat pour les documentaires.
Il faut aussi redonner le goût du documentaire unique et du long métrage documentaire aux télédiffuseurs et aux exploitants de salles qui négligent ces formats depuis trop longtemps. Ils doivent retrouver leur place sur le grand écran et dans les grilles horaires des télés. La diffusion de documentaires québécois devrait faire partie du mandat des télédiffuseurs publics, car c’est leur mission de diffuser les oeuvres profondément québécoises et canadiennes. Le documentaire est tout aussi digne de mention et il mérite autant sa place aux côtés des films de fiction et d’animation.
Afin de permettre aux films de pleinement rencontrer leur public, les exploitants de salle ont aussi une responsabilité dans la diffusion des documentaires. De limiter la sortie en salle des documentaires à une semaine et déterminer, après le premier week-end seulement, le sort de ceux-ci ne sert en rien ces oeuvres et permet encore moins au public de les découvrir… d’autant plus frustrant qu’ils ont souvent été créés grâce aux deniers publics. Il en est de même pour la diffusion à la télé : à quand un documentaire à heure de grande écoute le vendredi ou le samedi soir?
Tous les joueurs de cet écosystème doivent avoir le même objectif : permettre au documentaire de légitimement trouver son public. Nous réfléchissons actuellement avec d’autres organismes, comme l’Observatoire du documentaire, à des stratégies permettant de développer de nouveaux auditoires (l’UPPCQ siège sur le CA de l’Observatoire du documentaire). Le plus récent Forum de l’Observatoire a ouvert un dialogue entre le monde de l’éducation et celui du documentaire. Le but visé est de favoriser l’accessibilité des productions documentaires indépendantes québécoises dans les classes pour accroître leur visibilité dans le milieu scolaire. Ces deux mondes étant des vecteurs du savoir et de l’art dans notre société, le projet est de créer des liens inaltérables et pérennes entre eux.
Dans un autre ordre d’idée, lors de la plus récente édition du Festival du Nouveau Cinéma, l’UPPCQ a organisé un panel inédit sur la santé mentale dans l’industrie, où des productrices et des producteurs ont été conviés à converser ouvertement sur cet enjeu. En 2020, une étude britannique révélait tristement que 87% des travailleur.euse.s de l’industrie du cinéma et de la télévision déclaraient avoir éprouvé des problèmes de santé mentale liés à leur métier contre 65% pour la moyenne nationale. Les travailleur.euse.s de l’industrie audiovisuelle québécoise ne font pas exception. Ainsi, l’épuisement professionnel, la dépression et autres défis reliés à la santé mentale ne sont pas rares dans ce milieu. Bien que les problématiques de santé mentale ne discriminent pas entre les divers corps de métiers, le rôle crucial des producteur.ice.s les rend plus vulnérables à ces difficultés. Les documentaristes n’y échappent pas non plus. La précarité du financement ne permet pas d’offrir un cadre sécuritaire et un accompagnement psychologique à ces créateurs, à ces techniciens et à ces équipes de production.
Comment alors assurer la sécurité et le bien-être des équipes de tournage qui sont confrontées à la réalité complexe et parfois troublante du terrain? Ainsi, dans le même esprit que le rapport « Sur la santé mentale des documentaristes canadiens », mené par DocMentality & Doc Canada, l’UPPCQ souhaite poursuivre la discussion en mettant en place un chantier de réflexion et surtout d’actions sur la santé mentale.
En 2023 aux Oscars, le Canada était représenté par le documentaire Rojek de Zaynê Akyol. Cette nomination permet d’entretenir un espoir quant à la place du genre sur la scène internationale, de réaffirmer son ouverture sur le monde et de nous faire découvrir encore et toujours des réalités méconnues et des points de vue rarement exprimés. Parce qu’assurer la pérennité du documentaire québécois, c’est aussi assurer la pérennité d’un point de vue spécifiquement québécois dans toute sa diversité.
Christine Falco, Élodie Pollet and Line Sander Egede
Producers
Members of the Documentary Committee
Union des producteurs et productrices du cinéma québécois
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From the earliest years of Quebec film, documentaries have played a central role, notably with the invention of direct cinema, which produced major works such as Pour la suite du monde by Pierre Perrault, Michel Brault, and Marcel Carrière in the 1960s. Beyond Quebec’s contributions to animation, direct cinema probably represents its most important contribution to world film. But over the ensuing decades, despite the international recognition that Quebec documentaries have received, funding for them has dwindled steadily. Every year, fewer and fewer documentaries have been produced, on budgets that have fallen shorter and shorter of production costs in the real world.
In March 2022, a coalition called Pour la suite du doc (roughly “for the survival of Quebec documentaries” a play on the title of the classic doc by Perrault and Brault) set off shock waves in Quebec media and documentary circles with an open letter in Le Devoir decrying the chronic underfunding of documentaries by SODEC, the Quebec government’s main funding agency for film. Signed by some 30 organizations and 1000 individuals, the letter demanded that SODEC henceforth earmark 15% of its annual budget for documentaries. This letter may have been the best thing that ever happened for documentary films in Quebec. It let SODEC and other funders grasp the size of the issues facing documentary production in Quebec and the need to update funding programs to provide better production conditions and let documentary creators and producers make a living.
Although this letter targeted SODEC directly, a consensus that this was a systemic problem soon emerged. SODEC then provided the leadership to address it, holding consultations in which all members of the Quebec documentary ecosystem participated. These discussions identified concrete solutions to increase funding for Quebec documentary films, to better coordinate the various funders’ programs, and to make Quebec documentaries more competitive on the international scene.
As of late 2023, a number of welcome changes have already transformed conditions for documentary production in Quebec. The Canada Media Fund has loosened its rules regarding licence fee thresholds for its Performance Envelope and POV Programs. Telefilm Canada has begun providing more projects with more money for documentary productions. SODEC will be announcing its funding plans soon, which are expected to include adjustments in its programs and substantial increases in the financial assistance that it provides for documentaries. There’s real hope that the situation after the SODEC-led consultations will look quite different from the situation before. That in itself would be an early victory.
But much still needs to be done. The Quebec documentary community must mobilize and lobby the Department of Canadian Heritage to increase its budgets for Telefilm Canada and CBC/Radio-Canada and Quebec’s Ministry of Culture and Communications to provide more-adequate funding for Télé-Québec.
Discussions are also needed with the Canada Council for the Arts and the Conseil des arts et des lettres du Québec. These agencies support numerous innovative, experimental documentary films by a broad, deep pool of directors, but because they fund individual artists and not production companies, may create some pressure for these artists to produce their own works. This may be an excellent approach for some films, but for others, the directors would be better off working with producers. Self-production of documentaries and the limited budgets with which some of them are made combine to keep the funding for all of these projects far too low. We need to achieve a closer fit between the Councils’ programs and the programs to which producers have access, while continuing to let independent filmmakers self-produce their works in a more artisanal context.
We also need to establish structuring forms of assistance for production companies, such as corporate development assistance to make documentary production sustainable for the long term. In recent years, inadequate funding for documentaries has forced many production companies either to diversify into non-documentary genres or to shut down completely.
Cinema operators and broadcasters also need encouragement to start showing more standalone and feature documentaries again. These two formats have been neglected for far too long. They deserve to return to their rightful place on the big and small screens. Public broadcasters, whose mission is to present works deeply rooted in Quebec and Canada, should be required to broadcast Quebec documentaries. Documentary films are just as worthy of attention and deserve just as prominent a place as fiction and animated films.
If documentary films are going to reach their full potential audience, then cinema operators have the responsibility to schedule them accordingly. Limiting these works to a one-week theatrical run and deciding their fate after the first weekend does them a vast disservice and makes it harder for the public to discover them—all the more frustrating when many of these works have publicly funded. The same goes for showing documentaries on TV—when will we start seeing documentaries aired in prime time on Friday or Saturday night?
All of the players in this ecosystem should have the same objective: to give documentaries a fair chance to find their audiences. To identify strategies for developing these audiences, the Union des producteurs et productrices du cinéma québécois (UPPCQ – Quebec film producers association) is now consulting with organizations such as the Observatoire du documentaire/Documentary Network (on whose board the UPPCQ sits). At its 2023 OBSDOC forum, this organization launched a dialogue between the education and documentary communities. The goal of these discussions is to make independent documentary productions from Quebec more accessible in classrooms and hence more visible in schools. Both schools and documentary films are vectors of knowledge and art in our society, and the plan is to forge enduring links between them.
In another initiative, at the 2023 edition of the Festival du Nouveau Cinéma, the UPPCQ presented the first-ever panel discussion on mental health in Quebec’s audiovisual industry, at which producers were invited to discuss this issue openly. A 2020 study revealed that in the United Kingdom, 87% of all workers in the film and television industry reported having experienced work-related mental-health problems, compared with an average of 65% for all industries combined. Workers in Quebec’s audiovisual industry follow the same pattern: burnout, depression and other mental-health challenges are common. Although mental-health problems do not discriminate among the various film trades, the crucial role that producers play makes them more vulnerable to such problems. Documentary directors, technicians and production crews are not immune to them either: the precarious funding for their projects prevents them from working in a secure environment that provides appropriate psychological support when needed.
Documentary production crews face complex, troubling realities when shooting on location. How can we ensure their safety and well-being as they do so? In the spirit of DocuMentality: A Report on Mental Health in the Canadian Documentary Sector (produced by DocuMentality and the Documentary Organization of Canada), the UPPCQ wants to pursue this subject through panel discussions, meetings and possibly another study, with the ultimate goal of taking action on mental health.
In other news, Rojek, a feature documentary directed by Zaynê Akyol, was selected to represent Canada in the 2023-2024 Oscar race for Best International Feature Film. This nomination inspires hope for the place of documentaries on the world scene and reaffirms their openness to the world and the opportunities that they continue to give us to explore little-known realities and seldom-expressed viewpoints. By ensuring the continued vitality of Quebec documentaries, we also ensure the continued vitality of a perspective that belongs uniquely to Quebec, in all its diversity.
Christine Falco, Élodie Pollet and Line Sander Egede
Producers
Members of the Documentary Committee
Union des producteurs et productrices du cinéma québécois
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English translation by Al Daigen.